Safoura Compaoré a remporté la médaille d’argent lors du Championnat de bodybuilding d’Afrique de l’Ouest, au Ghana, en juillet 2022. Si elle a été saluée par certains pour sa performance, d’autres l’ont critiquée. Malgré tout, la sportive espère prouver que le bodybuilding à toute sa place au Burkina Faso. Pour tous. Et surtout, pour toutes. PAR AMÉLIE DAVID. Extrait du WOMEN SPORTS AFRICA N.6.
« Ma bodybuildeuse ! » Céline Bamouni salue avec engoue- ment sa coach sportive, Safoura Compaoré, assise sur un banc de musculation dans la salle de sport Gauthier Gym où elle travaille depuis deux ans. La médaillée d’argent au Championnat de bodybuilding d’Afrique de l’Ouest affiche un large sou- rire puis baisse la tête, un tantinet gênée. « C’est ma championne ! reprend l’élève, emportée par la fierté. Je l’encourage à chaque fois ! Je veux qu’elle sorte, il ne faut pas qu’elle reste au Burkina Faso. Ici, la discipline est trop peu connue. » Safoura Compaoré en rit, très sérieusement.
Le bodybuilding n’est pas une discipline populaire au Burkina Faso. Ceux qui la pratique s’exposent parfois, voire souvent, à des critiques. « C’est vrai que quand on m’a proposé d’aller faire cette compétition, j’ai eu peur car il y a toujours les regards… Et puis, je me suis dit : « Pourquoi pas ? J’aime ce sport ! Alors, j’ai eu envie de me lancer… », confie la championne dont le corps semble taillé dans l’acier.
Se concentrer sur le positif
De retour de sa compétition au Ghana, malgré une médaille autour du cou, Safoura Compaoré a été pointée du doigt sur les réseaux sociaux et dans les discussions de comptoir. De ceux qui ne comprennent pas l’intérêt sportif, à ceux qui jugent immoral de voir une femme dévoiler son corps. L’enfant de Niaogho, dans l’est du pays, a finalement laissé passer l’orage et a orienté ses yeux noisette vers les rayons du soleil.
Les bons mots de ses proches, les encouragements de ses élèves et de son entraîneur, la bénédiction du Mogho Naaba, chef traditionnel mossi… « Le bodybuilding, c’est avoir un corps mieux dessiné : c’est une discipline. C’est sportif ! On dé- file devant un juge, on montre son corps… Je n’ai pas de problème avec ça. Et les miss ? On dit quoi ? Je suis libre ! », assène la jeune femme qui sort peu à peu de sa réserve.
Si Safoura Compaoré a décroché cette médaille, c’est grâce à la force de son travail, mais aussi au soutien de son coach : Souleymane Songnaba, surnommé Petit Pima. « Même pour moi, en tant qu’homme, ça n’a pas été simple au début. Les gens ne connaissaient pas ce sport, ils m’insultaient. Mais j’avais mes rêves, alors j’ai foncé », confesse le bodybuilder.
Entrer dans l’Histoire
Souleymane Songnaba rencontre Safoura Compaoré à la salle de sport. Tout de suite, il voit en elle un grand potentiel. « J’ai com- pris qu’elle aimait le sport, qu’elle était à fond dedans », expose l’entraîneur. Le sportif nourrit de grandes ambitions pour son élève : devenir la première bodybuildeuse du Burkina Faso. « Au départ, elle n’a pas voulu, mais j’ai insisté. Tous les jours, on s’entraînait deux ou trois heures, elle était fatiguée, mais elle tenait…, glisse le jeune homme, tout en muscles. Je lui ai dit : ‘‘Tu vas entrer dans l’Histoire !’’ »
Safoura Compaoré a en tout cas mis un pied dans la compétition internationale en juillet dernier. Après le Ghana, elle espère s’envoler vers d’autres podiums : Dubaï, les États-Unis, le Canada… pour prouver que les femmes burkinabè peuvent elles aussi se montrer dans cette discipline, sans s’exhiber. Son souhait est de démystifier ce sport et de le rendre populaire au Burkina Faso.
« Depuis que je suis revenue de la com- pétition, il y a des jeunes femmes qui se mettent au bodybuilding… Elles prennent confiance. Alors, on va s’encourager pour continuer », se réjouit la jeune femme de 28 ans. Monter sur les marches du podium ? Safoura Compaoré ne le souhaite pas seulement pour satisfaire son égo. Avec ses récompenses, la coach sportive compte encourager ses compatriotes à se lancer. « J’espère que cette médaille va motiver les jeunes sœurs, mais ce n’est pas fait : la société et la place de la femme vont peser… », souffle celle qui a commencé le sport dans la cour familiale, auprès de ses frères.
Souleymane Songnaba pense que le pari est déjà à moitié gagné. « Elle a cassé le mythe : les filles sont maintenant intéressées. Des associations sont en train de se mettre en place à Bobo, Koudougou, Ouaga…, affirme le grand frère. C’est mal vu, mais si une fille a le courage de le faire… Cela va être dur, mais ça va changer, il faut bien quelqu’un pour commencer… »
Céline Bamouni ne le contredira pas. Pour elle, Safoura Compaoré a tracé un sillon pour les futures bodybuildeuses burkinabè. De son côté, elle sait qu’elle peut compter sur elle pour améliorer son bien-être. « J’ai un objectif à atteindre, devenir comme ça d’ici le début de l’année », souligne-t-elle en désignant une affiche où pose une sportive filiforme. « Vous croyez que je n’en suis pas capable ? », rebondit-elle. Safoura Compaoré éclate de rire. Elle lui apportera tout son soutien, en béton armé.